Il y a quelques jours, Pierre Rolland a annoncé sa retraite. L’occasion de revenir sur sa plus grande victoire, l’Alpe d’Huez lors d’un Tour de France 2011, qui l’a vu se révéler.
Des étapes qui font aimer le vélo. L’histoire est belle, la victoire l’est encore plus. L’équipier modèle d’un maillot jaune populaire, volant de ses propres ailes dans les lacets de la plus célèbre des ascensions du Tour de France. Le public français l’attendait en plus, pas Rolland, mais la victoire. Le pays hôte n’avait encore empoché de succès sur cette Grande Boucle. C’était la dernière chance, car si la France comptait dans ses rangs quelques grimpeurs honorables, aucun coureur de l’Hexagone n’aurait pu battre Tony Martin sur le contre-la-montre de Grenoble ou devancer Mark Cavendish sur son arrivée préférée, les Champs-Elysées. Mais qui, au juste, aurait pu s’accrocher au grimpeur fantastique, certes fatigué d’un Giro éreintant, qu’était Alberto Contador ?
En cet été 2011, c’est Thomas Voeckler qui enthousiasme les foules, qu’elles soient massées sur le bord des routes ou devant leur poste de télévision. Le « Vendéen d’adoption » prend le maillot jaune, alors sur les épaules du viking Thor Hushovd, qui l’avait récupéré à l’issue du contre-la-montre par équipes, remporté par son équipe Garmin-Cervélo au deuxième jour de course. Ne sachant pas s’il pourrait tenir les reliefs du Massif central, le Norvégien ne met pas à contribution ses équipiers, déjà bien entamés depuis le départ de Vendée, une semaine plus tôt. Dans un jeu de dupes qui ne va cesser jusqu’à l’arrivée sur les Champs, personne ne prend la responsabilité de maintenir l’écart dans des sphères raisonnables. La lourde chute d’Alexandre Vinokourov dans la descente du Pas de Peyrol ne les incite pas vraiment à prendre la chasse à leur compte. A l’avant aussi, on connaît quelques mésaventures incongrues. C’est sur cette étape qu’une voiture suiveuse France Télévisions renversa deux des membres du groupe Voeckler : Johnny Hoogerland et Juan Antonio Flecha. Ce fait de course n’entache pas la motivation de Voeckler et de ses compagnons de route, Luis Leon Sanchez et Sandy Casar, il ne fait que la renforcer. Au bout du compte, l’étape remportée par le malicieux Espagnol voit le « chouchou » des Français revêtir le paletot jaune pour la onzième fois de sa carrière, sept ans après dix jours passés avec la tunique en 2004.
Son coéquipier en jaune, Pierre Rolland se retrouve propulsé lieutenant, sans en avoir fait l’expérience auparavant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce rôle lui scie comme un gant : le gamin d’Orléans devient plus qu’un gregario, c’est un véritable ange gardien. A Luz Ardiden, au Plateau de Beille, si Voeckler résiste, c’est en grande partie grâce à son jeune coéquipier. Au pied des Alpes, le Martiniquais se présente avec une avance, à la fois confortable et minuscule, de 1’45’’ sur Cadel Evans, son dauphin. Les Français commencent à faire de ce héros magnifique le successeur de Bernard Hinault, dernier tricolore à avoir ramené le la tunique jaune sur les Champs, en 1985.
La première étape des Alpes qui s’achève dans la localité italienne de Pinerolo avait tout de l’étape donnée aux baroudeurs, sans que les favoris ne se mettent des peignées dans la dernière montée. Non, les leaders ne vont pas s’attaquer dans l’ascension de Pramartino. C’est dans la descente que les choses se décantent, bien malgré les rivaux de Voeckler. Le protégé de Jean-René Bernaudeau fait un tout droit, et se retrouve sur la terrasse d’une habitation, réussissant, in extremis, à éviter la chute. A l’arrivée, le débours sera de trente secondes.
Le lendemain, le Tour prend de la hauteur, au programme Agnel-Izoard-Galibier, rien que ça. Philippe Bouvet, journaliste à L’Equipe, nous résume l’étape : « Tout doit encore se jouer dans la montée de l’alpe d’Huez aujourd’hui. Mais l’étape du Galibier, hier, fut sans doute l’une des plus fameuses journées que l’on ait connues depuis trente ans sur le Tour ! Andy Schleck a tenté l’impossible et il a réussi, sans toutefois déposséder Thomas Voeckler du maillot jaune, qui tient toujours pour quinze secondes. Et le Français garde toutes ses chances. Au même titre que Cadel Evans et les frères Schleck. Mais Contador a perdu. ». Alberto Contador a perdu, oui. Et c’est peut-être ce qui nous a permis de vivre, le lendemain, une nouvelle étape légendaire.
Alors que quelques coureurs s’étaient échappés dans les premiers hectomètres, le peloton, emmené par les coéquipiers des frères Schleck Frank et Andy, est secoué par une attaque du pistolero Alberto Contador. Suivi par les deux frangins luxembourgeois, il ne regarde jamais derrière lui et ne fait qu’accélérer. Derrière, Evans fait le jump. Voeckler, lui, laisse ses coéquipiers Cyril Gautier et Pierre Rolland faire l’effort mais, sentant que la course pouvait lui échapper, décide de faire l’effort et rejoindre les grands, seul.
L’Espagnol ne s’arrête pas là. Une nouvelle accélération met Frank Schleck en retrait. Seuls Andy Schleck, Cadel Evans et l’héroïque Thomas Voeckler sont encore dans son sillage. Les coureurs ne sont encore dans le premier col de la journée, le Télégraphe, viendront ensuite, Galibier (par son versant le plus difficile) et la montée de l’Alpe d’Huez et ses vingt-et-un virages. Derrière, ce sont les coéquipiers d’Ivan Basso, les Liquigas, qui limitent, tant bien que mal, la casse.
Un nouveau fait de course intervient soudainement. Cadel Evans craque. Alors qu’il était dans le sillage du coureur BMC, Voeckler ne peut raccrocher le duo infernal Contador-Schleck. Evans descend de sa machine, aurait-il ressenti un problème dans la transmission, son coup de pédale semble heurté, son dérailleur semble bloqué. Il perd plusieurs dizaines de secondes dans l’affaire, étant obligé de changer de bicyclette. Au sommet du Télégraphe, bien aidé par Jérôme Pineau dans une alliance amicale, le maillot jaune maintient l’écart à une trentaine de secondes du duo qui a repris l’échappée. Le peloton bascule à 1’35’’.
La courte descente lui permet de grappiller dix secondes. Mais le long faux plat de transition voit l’écart se stabiliser, devant on ne s’entend pas forcément très bien, Juan Antonio Flecha, déjà échappé avec Voeckler vers Saint-Flour, victime de la chute des barbelés, donne un coup de main au Martiniquais. Derrière le peloton, emmené par BMC et Liquigas, perd du temps, presque deux minutes. Seul dans la montée d’un des cols les plus durs de France, Thomas Voeckler maintient l’écart sur les deux meilleurs grimpeurs du monde.
Au moment où Evans se retrouve seul, sans coéquipier, l’écart est descendu à 1’30’’. L’Australien doit prendre ses responsabilités, au moment où Thomas Voeckler se relève et attend le groupe des favoris où ses coéquipiers Pierre Rolland et Anthony Charteau sont encore présents. Ces coureurs stabilisent l’écart autour des 1’10’’. Samuel Sanchez décide alors de passer à l’attaque, il est huitième au classement général, à 5’20’’ de Thomas Voeckler. Cette accélération est un nouvel événement qui change la face de l’étape. Sentant que le maillot jaune commençait à souffrir le martyrs, Cadel Evans décide de mettre une franche attaque pour éviter que les Europcar ne puissent le reprendre. Charteau et Rolland sont capables de rentrer sur l’Australien. Mais pas Voeckler. Il paye alors tous les efforts consentis depuis le début de l’étape, depuis le début du Tour aussi.
Au sommet, Sanchez, Evans et Rolland qui n’a pas attendu son leader, sont pointés à 35’’ du groupe de tête. Voeckler est lui à 1’40’’. Au fil de la descente, les qualités de descendeur du coureur Euskaltel-Euskadi lui permettent de revenir sur le groupe Schleck-Contador. Pour le reste du groupe Evans, ils rentrent à 25 kilomètres de l’arrivée, soit à 10 kilomètres du pied de l’Alpe d’Huez. A peine revenu, Pierre Rolland sort du groupe dans un faux plat montant. L’Orléanais peut encore jouer l’étape, et le maillot blanc, étant deuxième au classement des jeunes, derrière Rein Taaramäe, présent dans le groupe Voeckler qui se rapproche des autres favoris.
Rolland est accompagné de Ryder Hesjedal. Derrière, ses coéquipiers Gautier, Jérôme et Charteau, parviennent à ramener le maillot jaune sur les favoris avant le pied du Tour. Le duo franco-canadien compte 50’’ au pied de la montée aux 21 virages. Dès les premiers hectomètres, le peloton éclate à nouveau : Voeckler lâche, Contador attaque. Andy Schleck et Cadel Evans ne sont pas capables de rentrer sur le pistolero qui part à la poursuite de Rolland et Hesjedal. Dans une montée noire de monde, Alberto Contador reprend et contre le duo. Seul Rolland tente de l’accrocher mais ne peut pas suivre les grosses accélérations de l’Espagnol, déchainé ce jour-là.
Alors que le groupe Evans-Schleck perd, seconde après seconde, sur Contador. C’est le Slovaque Peter Velits qui sort, en compagnie de Samuel Sanchez. Ce dernier va lâcher le coureur de la Quick-Step et rentrer, 30’’ derrière Contador, sur Pierre Rolland. Nous sommes alors à sept kilomètres du sommet. A l’arrière, Thomas Voeckler est à la dérive.
Plus on se rapproche de l’arrivée, plus l’écart diminue entre Contador et le duo Sanchez Rolland où le Français ne donne pas un relais. L’écart n’est plus que de 15’’ sous la banderole des trois kilomètres. 500 mètres plus loin, les voilà revenus : la victoire d’étape va se jouer entre ces trois hommes. Malin, Pierre Rolland tente de sortir après s’être appuyé sur Samuel Sanchez. Après plusieurs tentatives sur un énorme braquet, le Français parvient à lâcher les deux espagnols aux deux kilomètres. Douze secondes à la flamme rouge. Dans la dernière ligne droite, Thierry Adam, commentateur pour France Télévisions, dira : « La voilà la première victoire française, on n’aurait jamais imaginé ça à l’Alpe d’Huez ! Victoire de Pierre Rolland ! ». Oui, au début de la décennie, le cyclisme français est encore en souffrance, Pierre Rolland ouvre la voie à une nouvelle génération en devenant le deuxième vainqueur de l’Hexagone à remporter l’étape de l’Alpe d’Huez. Merci Pierrot.
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